L’avenir (et le présent) de la réalité augmentée

La réalité augmentée n’est pas une technologie nouvelle. Même s’il est compliqué de donner la date précise de sa naissance, on peut considérer qu’elle apparaît dans les laboratoires de recherche dans les années 1980 et qu’elle est arrivée dans le monde de l’entreprise autour de l’an 2000. À cette époque, ce sont plutôt les industries, et en particulier celles qui travaillent couramment avec les modélisations d’objets en 3D par CAO [1], qui explorent ses usages.
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Sans entrer dans des définitions compliquées, la réalité augmentée est un ensemble de technologies qui vous permet de percevoir des informations numériques interactives, en temps réel et en 3D dans son environnement. Vous regardez à travers l’écran de votre smartphone et vous voyez le canapé que vous n’avez pas encore acheté au milieu de votre salon ! C’est très différent de la réalité virtuelle qui, à travers un casque fermé, vous transporte dans un monde qui n’est pas relié avec votre environnement réel. D’autres définitions existent pour explorer des domaines particuliers [2].

Pour le grand public, il faudra attendre presque dix ans de plus pour voir les premiers usages sur ordinateurs, comme le choix de colis sur le site de l’U.S. Postal en 2008 [3]. C’est d’ailleurs autour de cette date que plusieurs marques comme Coca-Cola ou Nike lancent quelques campagnes de communication en utilisant le même principe (ordinateur + webcam). L’arrivée de l’iPhone d’Apple en 2007 est une autre date importante, puisqu’elle signe la possibilité, pour les utilisateurs des futurs smartphones, d’utiliser de la réalité augmentée de manière « mobile ».

Depuis dix ans, le domaine connaît des hauts et des bas mais, globalement, voit sa part de marché augmenter et ses utilisateurs mobiles croître [4]. La première moitié de la décennie 2010 a été marquée par une explosion du nombre d’acteurs. Ces entreprises étaient souvent proches de laboratoires de recherche (comme Metaio en Allemagne, Wikitude en Autriche ou Diota en France) et travaillaient dans le logiciel comme dans le matériel. Vers 2015, les choses ont changé car les grands acteurs du numérique (Gafam et Batix) ont décidé d’investir ce domaine ainsi que celui de la réalité virtuelle. Beaucoup de pionniers ont été rachetés et des écosystèmes ont commencé à se structurer.

 

 

Un état des lieux aujourd’hui

Aujourd’hui, pour le grand public, la quasi-totalité des expériences de réalité augmentée passe par le smartphone ou la tablette. Le secteur industriel adopte petit à petit les lunettes de réalité augmentée pour des usages spécifiques mais, pour le commun des mortels, ces appareils sont encore beaucoup trop chers pour trop peu de contenus disponibles. Même les dispositifs de lunettes plus simples lancés par Snap en 2017 ou par Focal en 2018 sont des échecs commerciaux. Microsoft a annoncé depuis 2017 que le marché pour ses HoloLens était clairement celui des professionnels. Magic Leap (deux milliards de dollars de levée de fonds), qui avait présenté ses lunettes « Magic Leap One » comme le futur écran de la maison en 2016, a redéfini son marché prioritaire en décembre 2019 : ce sera sans surprise celui des entreprises. Fermez le ban…

 

 

Les secteurs qui fonctionnent

Même si les chiffres évoluent très rapidement, les jeux sont la catégorie d’applications de réalité augmentée la plus utilisée aujourd’hui. Nous avons tous en tête le succès de Pokémon Go, mais de nombreux autres titres sont disponibles et génèrent des revenus. Pour les autres secteurs, les utilisations sont plus hétérogènes, mais on note de belles réussites dans les domaines de la beauté (Youcam, L’Oréal ou même YouTube [5]), de l’ameublement (Ikea Place), des outils de mesures, etc. Les domaines en croissance sont aujourd’hui l’aide à l’achat (en lien avec le commerce en ligne et incluant les manuels d’utilisation augmentés), la partie de la santé regroupant le bien-être (méditation), la prévention et le sport, ainsi que la formation et l’éducation. Vous pourrez découvrir leurs dynamismes au cours de la prochaine édition de Laval Virtual [6].

La communication et le marketing des marques utilisent la réalité augmentée pour apporter une interactivité supplémentaire aux consommateurs… avec plus ou moins de succès ! La marque de vin australienne « 19 Crimes » a par exemple construit son succès sur la RA en utilisant la bouteille comme un support pour raconter l’histoire de prisonniers déportés en Australie [7]. La marque est passée de 4 à 16 millions de bouteilles vendues et attaque les marchés US et UK ! Toujours en Australie, Domino’s Pizza a fait le pari de rendre ludique la commande de pizza [8] en proposant une application en réalité augmentée. Le pari est une belle réussite avec une hausse du panier moyen et une augmentation de part de marché face à ses concurrents. Au-delà des entreprises, des ONG et des « causes » se sont servies de la réalité augmentée pour illustrer leurs luttes. Nous pouvons citer par exemple le projet « Notable Women » lancé par l’ancienne trésorière des Etats-Unis, Rosie Rios, en partenariat avec Google, pour créer une application permettant de découvrir en réalité augmentée l’histoire de cent femmes américaines [9] sur des billets de banque.

 

 

Les vecteurs de la RA

Si nous parlons depuis le début de RA sur mobile, il convient de préciser un peu plus les choses en s’intéressant à la diffusion des applications. Il y a quatre ans, la situation était simple. Pour vivre une expérience de RA, il fallait télécharger une application et la lancer. L’arrivée en 2017 des outils de développement ARcore (Google) et ARkit (Apple) a pu nous faire croire que cette solution allait devenir le standard du domaine en rendant la création d’applications encore plus simple. Cependant, d’autres moyens se sont développés comme le webAR ou les plates-formes sociales.

Le webAR, sans entrer dans les détails techniques, vous permet de vivre une expérience de RA en allant directement sur un site Internet. C’est de cette manière que les producteurs du film Jumanji : The Next Level ont choisi de promouvoir leur long-métrage [10]. Aujourd’hui la technologie est en plein développement et devient une alternative sérieuse à une application, ce qui évite la phase de téléchargement. On sait en effet qu’il devient de plus en plus compliqué de faire installer des applications aux utilisateurs. Cette technologie est donc parfaite pour les opérations ponctuelles de communication.

Les plates-formes numériques, nous l’avons vu, investissent beaucoup dans la réalité augmentée depuis 2015. Elles ont toutes intégré des outils de création simplifiés : Spark AR pour Facebook et Instagram, Lens Studio de Snap Inc, QAR de Wechat, etc. Petit à petit, les marques ont testé ces solutions pour bénéficier assez rapidement de la masse d’utilisateurs des plates-formes et/ou pour pénétrer plus efficacement un marché [11]. Aujourd’hui, de nombreuses campagnes de communication existent et les chiffres d’utilisation sont impressionnants [12] au point de faire dire que les applications de réalité augmentée les plus téléchargées en 2019 sont celles des réseaux sociaux !

 

 

Un point sur la création de contenus en réalité augmentée

Vous l’avez certainement compris à travers tous les exemples, la réalité augmentée est avant tout un média numérique. Son succès auprès du public passe donc par la qualité des contenus proposés. C’est simple à énoncer mais complexe à réaliser car la réalité augmentée, comme la réalité virtuelle, est une diffusion récente. Les professionnels ont peu de recul et doivent sans cesse expérimenter pour définir ce qu’est un « contenu de qualité ».

Une des difficultés particulières, qui revient régulièrement dans les tables rondes du Satis, est la vitesse d’évolution des matériels et des logiciels, qui oblige les créatifs à cultiver leur partie « technique ». Il est très compliqué de capitaliser l’expérience. La situation n’est pas meilleure pour les profils techniques qui ont, de leur côté, beaucoup de mal à expliquer ce qu’il est possible de faire ou pas aux créatifs !

 

 

Quelles sont les perspectives pour les dix prochaines années ?

Il est assez compliqué de voir clair dans les évolutions possibles de la réalité augmentée car, comme beaucoup de technologies numériques, si les usages sont influencés par la technologie, le contraire est également vrai. De plus, les évolutions technologiques ont été très rapides ces cinq dernières années à tel point que l’horizon de prévision ne va guère plus loin que les six prochains mois ! Voici cependant quelques pistes réalistes.

Commençons par un fait clair qui vient compléter l’état des lieux vu précédemment. Les prévisions sur les évolutions du marché de tous les cabinets et entreprises spécialisés sont cohérentes. Elles montrent que nous n’avons pas affaire à un phénomène de mode, mais que le nombre d’utilisateurs de réalité augmentée va croître continuellement dans les prochaines années [13]. Évidemment, il ne faut pas s’accrocher à des chiffres trop précis, mais plutôt regarder les tendances dans les différents secteurs économiques. Au-delà des domaines que nous avons évoqués, il semblerait que le commerce soit un des plus prometteurs [14]. En effet, la RA est une technologie de lien entre le monde physique et le monde numérique, exactement le besoin du commerce actuel ! Ce sera aussi un excellent outil de conseil et d’aide à la décision pour les acheteurs et pour le vendeur. À un moment où la prise de conscience environnementale semble pousser à une certaine baisse de la consommation [15], la RA pourrait jouer un rôle très important en guidant les achats vers la « durabilité ». Surveillons donc le couple commerce/RA !

Nous l’avons déjà abordé, les utilisateurs ont tendance à passer de plus en plus par les médias sociaux pour utiliser des expériences de réalité augmentée [16]. Il est assez probable que cela s’amplifie dans les années qui viennent. En effet, Gafam et Batix ont placé les technologies immersives au cœur de leur stratégie de développement. Facebook, par exemple, travaille sur la mise au point d’un système d’exploitation propriétaire pour la RA [17] avant de sortir dans les cinq prochaines années ses propres matériels [18] ! L’objectif est de construire un écosystème complet, autonome et avec une capacité de distribution exclusive de contenus. La démarche est identique chez les autres géants du numérique. On retrouve un peu l’ambiance que certains ont connue dans les années 1990 avec la « guerre des navigateurs » Internet et l’arrivée de la technologie propriétaire Flash (Macromedia). Il reste possible que ces géants puissent se mettre d’accord pour verrouiller le secteur comme ils tentent de le faire pour le marché de la « Smart Home » [19]. Le plus probable reste cependant une guerre larvée… Producteurs de contenus et éditeurs de solutions, vous allez devoir choisir votre camp et votre circuit de distribution !

L’évolution des médias de distribution pose un autre problème qui pourrait fortement ralentir le développement des usages de RA ou, a contrario, constituer une formidable opportunité : la gestion des données personnelles. Sans entrer dans les détails, une expérience immersive génère beaucoup de données sur l’utilisateur et permet de le tracer très finement [20]. Les médias sociaux ne sont pas réputés aujourd’hui pour la gestion sécurisée des données personnelles, leur modèle économique étant basiquement de les vendre ! Avons-nous ici un problème insoluble, nouveau fruit du comportement schizophrène des utilisateurs ? Oui et il faut faire avec. Une des solutions pourrait être paradoxalement la mise en place de standards, ouvrant les différentes expériences immersives et permettant aux utilisateurs de se transporter de l’une à l’autre en conservant la maîtrise de leurs données. L’initiative OpenARCloud en est un exemple [21]. Est-ce que ces initiatives seront soutenues par les Gafam ? L’utilisateur et le producteur de contenus sont-ils sensibles « concrètement » à cette question ? L’avenir proche nous le dira.

Impossible de parler d’avenir de la réalité augmentée sans un paragraphe sur les lunettes, qui font rêver depuis les promesses de Google en 2012 ! Beaucoup d’acteurs importants travaillent sur la mise au point de lunettes utilisables dans la vie de tous les jours. Les modèles de North (les Focals) ou de Snap (les Spectacles) apportent des éléments intéressants, mais restent assez primitifs et, surtout, ils ont du mal à convaincre de leur utilité. Apple et Facebook semblent vouloir aller plus loin et imaginent le remplacement pur et simple du smartphone, d’ici environ cinq ans. Est-ce réaliste ? Oui, surtout dans l’environnement très contrôlé d’Apple. Cela va changer encore une fois le secteur de la réalité augmentée puisque les créateurs de contenus vont devoir s’adapter à une nouvelle interface, complètement différente du smartphone car n’utilisant plus les doigts comme système d’interaction mais plutôt les gestes, la voix, voire l’attitude ! Ce sera la fin de l’ère digitale et le début de … (je vous laisse compléter).

 

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[1] CAO : Conception assistée par ordinateur

[2] Qu’est-ce que la réalité augmentée ? 

[3] AKQA Augmented Reality for USPS 

[4] Virtual reality and augmented reality startup valuations hit $45 billion (on paper) 

[5] www.numerama.com/tech/527162

[6] Laval Virtual 2020 

[7] 19 Crimes Wine Is An Amazing Example Of Adult Targeted Augmented Reality 

[8] Domino’s debuts augmented reality pizza ordering 

[9] Notable Women, an AR app that adds 100 historic american women to U.S. currency

[10] www.explorejumanji.com/

[11] L’Oréal fait ses premiers tests de réalité augmentée sur le réseau social WeChat 

[12] Chiffres réseaux sociaux – 2020 

[13] 20 Augmented Reality Stats To Keep You Sharp In 2019 

[14] Gartner Says 100 Million Consumers Will Shop in Augmented Reality Online and In-Store by 2020 

[15] Ménages, modes de vie et environnement : 30 ans d’évolution 

[16] 40 Percent of Gen Z Use Social AR Lenses 

[17] Facebook développe son propre système d’exploitation pour la réalité augmentée

[18] Facebook’s Chief Scientist: Mass Adoption of AR Is Years Away 

[19] Google, Amazon, and Apple join forces to develop IP-based smart home connectivity standard 

[20] Industry review boards are needed to protect VR user privacy 

[21] OpenARCloud 

 

Article paru pour la première fois dans Sonovision #18, p.28-30. Abonnez-vous à Sonovision (4 numéros/an + 1 Hors-Série) pour accéder, à nos articles dans leur totalité dès la sortie du magazine.


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