« Napoléon Stratège », une exposition portée par le multimédia

Comment entrer dans la tête de l’empereur qui sillonna l’Europe avec ses troupes pendant près de 25 ans ? Le musée de l’Armée, grâce à une quinzaine d'œuvres multimédias (films, son et lumière, jeux pédagogiques), a plongé cet été le visiteur dans le cerveau de Napoléon pour y décrypter sa stratégie militaire. Le parcours proposait d'endosser le temps d’une visite le costume du chef de guerre, des Anglais ou des Russes, dans des reconstitutions de batailles historiques mais virtuelles cette fois !
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Le visiteur accueilli par un extrait du film de 1970, Waterloo, du réalisateur russe Sergueï Bondartchouk, plongeait d’entrée dans le cœur de la problématique de cette exposition « Napoléon Stratège » : Comment rendre vivants des objets, des documents, des costumes, aux yeux du public ? Quoi de mieux que ces images épiques pour lesquelles le réalisateur russe fit mobiliser l’Armée rouge, reconstituant cette fameuse bataille,
 la dernière menée par l’Empereur en 1815. 
« Cela nous permet de montrer les masses de soldats qui étaient à l’époque présents sur ces champs de bataille, entre 150 000 et 500 000 hommes. On voit aussi Napoléon préparer sa bataille », détaille Grégory Spourdos, un des commissaires de l’exposition, chargé d’études documentaires au département moderne du musée de l’Armée (Paris 7e).
 Dès la naissance du projet de « Napoléon Stratège », le multimédia a fait sens. « La stratégie est un concept cérébral ; nous voulions entrer dans la tête de Napoléon. Il imagine, conçoit ses batailles avant qu’elles n’aient lieu sur le terrain. Le multimédia était l’une des voies pour explorer sa pensée. Il permet aussi de faire visualiser ces grandes masses de soldats, la violence des charges, le bruit et le spectacle effrayant des batailles, etc. Ce n’était pas une foire d’empoigne : le combat avait des codes, des règlements, des phases, des règles de stratégie. Napoléon était seul au commandement ; même s’il prenait avis, il avait une vision assez solitaire de sa décision », reprend-il.

 

Afin de comprendre la manière dont ce chef de guerre a pris ses décisions stratégiques, 
le visiteur recevait d’emblée quelques rudiments de stratégie militaire : des multimédias guidés permettent de donner les clés,
 ils déchiffrent les mouvements des troupes selon les armes, la typologie du terrain… « À cette époque, on pensait beaucoup la guerre dans les livres, avec des schémas. À partir de planches d’époque animées par notre équipe d’infographistes on peut comprendre comment se déplaçait une artillerie par rapport à une cavalerie, ou ce que cela implique de déployer telle ou telle unité, selon le moment de la bataille ». Un dispositif son et lumière met ensuite en action ces nouvelles connaissances avec une reconstitution de la bataille de Lody (mai 1796), racontée par Napoléon. « Toute la difficulté de cette période du XVIIIe siècle est que nous n’avons pas de photographies, d’archives sonores, de films… Nous n’avons que des objets fixes et une bataille est au contraire extrêmement animée. » Outre l’extrait du Waterloo, dont les droits appartiennent à la revue Napoléon Ier, l’utilisation d’extraits de films reste limité pour des raisons de droits.
 « C’est aussi pour cela que nous diffusons aussi des films de reconstitution. Ils sont produits par la société Ecliptique Production. Grâce au soutien de notre mécène le CIC, nous avons pu concevoir deux courts-métrages de 5 minutes : l’un montre Napoléon qui prépare la bataille d’Austerlitz (1805), le second, dans la salle suivante, explique pourquoi il a perdu. Le film de reconstitution reste un outil extrêmement pratique : il anime les uniformes et les armes, d’autant que les reconstituants sont extrêmement rigoureux. »

 

Afin d’apprivoiser les cartes, le visiteur était invité à revoir sa géographie, à incarner Napoléon, en repérant les frontières, les obstacles naturels, etc. Puis, en tant que chef de guerre, il pouvait affecter les généraux. Selon les tempéraments, les besoins, le visiteur s’employait ensuite à déployer 
ses généraux. « Au début nous proposions
 des textes qui défilaient, mais on s’est rendu compte que cela ne fonctionnait pas. Avec ces dispositifs interactifs, on vit une situation qu’a connue Napoléon, on est confronté aux mêmes décisions, le visiteur doit aussi être stratège », poursuit le commissaire de l’exposition. Une fois les troupes affectées et la stratégie étudiée, le clou du dispositif interactif se déployait dans la simulation de bataille. Chaque troupe était représentée par un petit pictogramme,
 le tout restant extrêmement clair et lisible. 
« Six batailles sont proposées. Dans trois, nous incarnons le conseil de Napoléon, et dans les autres, les ennemis. Dès que le visiteur fait le choix pris par Napoléon, la carte s’anime et
 les troupes bougent. Il y a plusieurs choix, si on se trompe, le jeu explique pourquoi. Ce sont des dispositifs dont nous sommes assez fiers », détaille-t-il. Il a fallu étudier les campagnes, dessiner les cartes, scénariser. « Un conseiller spécialiste en jeu interactif nous a aidés à simplifier et à rendre l’objet ludique. On ne peut pas montrer 100 000 hommes sur un dispositif interactif, il a fallu trouver les pictogrammes et un graphisme agréable et compréhensible avec un texte simple mais complet. Le but est qu’il puisse prendre les bonnes décisions. On ne change pas l’histoire. Quand il a gagné, le visiteur est le digne successeur de Napoléon, ce qui fait toujours plaisir. »

Depuis dix ans, le musée de l’Armée propose des batailles animées dans ses collections permanentes, cinq ailes allant des guerres modernes aux conflits contemporains (1945). « Nous incluons dorénavant ces dispositifs numériques dans toutes nos expositions, mais avec “Napoléon Stratège”, la nature du projet nous a poussés à aller encore plus loin », conclut Grégory Spourdos.

Depuis octobre, l’exposition suivante du musée de l’Armée se tourne vers la fin de la Première Guerre mondiale, avec l’exposition “À L’EST DE LA GUERRE SANS FIN, 1918-1923”.

 

* Article paru pour la première fois dans Sonovision #12, p.16. Abonnez-vous à Sonovision (4 numéros/an + 1 Hors-Série) pour accéder, à nos articles dans leur totalité dès la sortie du magazine.