Malgré les révolutions technologiques rapides, liées aux nouveaux modes de production ou de consommation des images vidéo, quand une entreprise ou une institution fait appel à un studio de création pour réaliser un film de commande, elle cherche avant tout un savoir-faire lié à la manière de raconter des histoires en images. À l’instar de Sébastien Marqué, cofondateur de l’agence de production de films de commande Victor & Lola, qui indique avoir depuis plusieurs années déjà « plus de 90 % de ses commandes constituées par des vidéos destinées à une diffusion sur le web », nombre de studios de production ont adapté leur façon de travailler à ce nouveau média.
Le web a en effet obligé les studios à passer par quelques artifices visuels comme le time-lapse, le stop motion, le videoscribing, le motion design, le flat design habillé en compositing ou la vidéo interactive… Autant de techniques destinées à adapter le message corporate à de nouvelles manières de consommer les vidéos plus courtes.
Ces nouvelles formes de clips vidéo propres au web ne sont pas non plus sans écueil scénaristique, comme le diront la plupart de nos interlocuteurs rencontrés lors de notre enquête. Chacun s’interroge sur la pente actuelle, glissante, vers l’uniformisation des images utilisées dans les films de commande, engendrée notamment par le recours intensif aux banques d’images vidéo, dites « libres de droits » et la mode des « films de montage ».
Chacun mentionne en particulier les clips « chocs », réalisés par l’agence de ventes de « footage » Dissolve, qui sont basés uniquement sur des « stock shoots » et qui pour autant, agrémentés d’un montage « cut », d’une musique et d’une voix off tonitruantes, font illusion jusqu’au générique final. De tels clips, diffusés pour la première fois il y a deux ans, interrogent encore aujourd’hui les professionnels et leur ont fait prendre conscience de la nécessité de réagir à ce phénomène en proposant des contenus totalement originaux et sur mesure à leurs clients, afin d’éviter un nivellement par le bas de la valeur de leur métier.
Pour y remédier, les producteurs de films corporate mettent notamment, chacun à sa manière, le storytelling au centre de leur démarche. L’agence nantaise Victor & Lola, par exemple, met en avant sa culture de la belle image et sa capacité d’immersion dans la problématique du client. Comme le souligne Sébastien Marqué son fondateur, « avant d’élaborer un scénario, nous nous immergeons dans le sujet du client, sous l’angle sociologique souvent, afin de raconter une histoire au plus près de la préoccupation du public. Ainsi, même si la manière de raconter les histoires a beaucoup changé depuis cinq ans, et emploie les codes du web, nous gardons une forte valeur ajoutée au moment de l’écriture du scénario ».
Même son de cloche chez un poids lourd du film de commande qu’est AMP Interactive, centré depuis plusieurs années déjà sur une approche qualitative de la production de films de commande. Pour Guillaume Eon, le directeur d’AMP Interactive : « Malgré la crise d’il y a cinq ans, nous sommes parvenus à maintenir, voire à faire progresser le chiffre d’affaires de cette filiale qui tourne autour de 4 millions d’euros, en restant très attachés à apporter une réponse unique et originale, qui mette véritablement en valeur son identité ».
Le cas du film « Libres et responsables » consacré au transporteur SAS Mousset, primé en 2015 au festival Films & Companies, est à cet égard symbolique de cette démarche, car au départ la commande consistait à faire un simple film valorisant le travail des ressources humaines de ce transporteur. « Et, en définitive, après avoir échangé avec le client, nous avons constaté que nous pouvions aller beaucoup plus loin en immergeant notre caméra dans le quotidien de cette entreprise. D’une certaine manière, nous sommes devenus des conteurs qui magnifient des métiers, des savoir-faire et donnent du sens aux entreprises ou aux organisations ».
Guillaume Eon insiste aussi sur le fait que le « sur-mesure » est adaptable à tous types de budgets et de clients, si l’on fait preuve de créativité et si l’on s’appuie sur une bonne connaissance des moyens techniques.
Ainsi, il y a un an, à la suite d’un repérage dans les jardins du Château de Versailles, AMP Interactive n’a pas hésité à proposer d’utiliser une caméra de super-ralenti pour magnifier les jeux d’eau du château, « car cela n’avait jamais été fait auparavant et que ces images sont en mesure de révéler la beauté du travail des fontainiers de façon inédite et de susciter l’émotion du public ».
Mieux, récemment, AMP Interactive s’est associé à la société de production Amaclio, spécialisée dans les spectacles audiovisuels d’envergure projetés sur des monuments, pour fournir les moyens techniques de tournage des images haute définition qui furent projetées sous les verrières du Grand Palais en avril 2016 à l’occasion de l’exposition « La Conquête de l’air », retraçant l’épopée du groupe Dassault Aviation, soit 5 000 heures de tournage et d’infographies projetées à l’aide de 23 projecteurs sur 3 000 m2 de surface de projection…
Une communication incarnée et les codes narratifs de YouTube
Côté forme, il convient désormais de suivre les codes narratifs des « youtubers » en donnant au client, en amont du tournage, un cahier des tendances visuelles très précis afin de le rassurer, mais ensuite en laissant une part de liberté de tournage au réalisateur et une marge d’improvisation aux acteurs, afin que le film soit incarné et donne une sensation de spontanéité largement répandue sur le web.
Sébastien Marqué souligne d’ailleurs à ce propos : « Aujourd’hui, il faut que les premières secondes d’un film soient particulièrement percutantes et que le son ressorte avant même l’image, car c’est la bande son lancée lors du passage de la souris sur la fenêtre vidéo qui va inciter l’internaute à cliquer sur Play ».
De son côté, Tulipes & Co, après avoir fait beaucoup de motion design, trouve que le modèle est en train de s’essouffler du fait d’une certaine uniformisation du discours et de la forme. « Le motion design ne vaut désormais, assène Charles Drouin, directeur de Tulipes & Co, que s’il fait preuve d’une identité visuelle très forte et singulière. En outre, après une phase du discours où tous les groupes industriels ont animé leur transformation énergétique, numérique… via des données mondialisées et donc forcément avec un discours uniformisé, chacun a besoin d’avoir un message plus identitaire, donc plus incarné ».
Pour illustrer ce mouvement de balancier vis-à-vis du motion design, Tulipes & Co prend comme exemple un appel d’offres récent de la Société Générale, dans lequel il était clairement fait mention d’un film en motion design et que pour autant l’agence a remporté en proposant… une comédie tournée en studio.
Patrick Dalbin, qui dirige Parker Wayne Philips, un studio de production bénéficiant d’une longue expérience du film corporate, fait le même constat. « Là où nous réalisions un film de 26 minutes auparavant, on va sans doute produire la même quantité de vidéo, mais sous une forme beaucoup plus découpée via des formats très courts et une narration par épisode ; mais la proposition narrative doit rester forte et innovante ». D’ailleurs, ce studio créatif a eu l’occasion, ces trois dernières années, de mettre en œuvre les codes scénaristiques de la web série pour le compte d’un client important, le laboratoire Sanofi, dans le cadre de la série « Good morning Sanofi ». Un exemple particulièrement éclairant.
Voulant montrer dans le cadre de sa démarche RSE la diversité des métiers au sein de son groupe présent sur les cinq continents, le laboratoire a en effet décidé, « plutôt que de réaliser une Dataviz animée impersonnelle, de prendre le risque de donner la caméra directement à ses collaborateurs un peu partout sur la planète ».
Parker Wayne Philips, son prestataire, a fourni à chacun des employés volontaires pour se mettre en scène un kit de tournage (contenant un boîtier DSLR automatisé avec objectif fixe pour limiter les effets de zoom intempestifs et un kit de prise de son correct) et une méthode de travail sous la forme d’un petit guide assorti d’une séance de « brief » technique et narratif via vidéoconférence avec un réalisateur. Le réalisateur guide alors les employés et leur donne des astuces de tournage pour qu’in fine, après une dizaine de jours de tournage, ils puissent envoyer à PWP une série de rushes suffisamment riches, variés et cohérents vis-à-vis de l’histoire qu’ils veulent raconter. Ensuite, PWP les montent et les habillent de manière dynamique en un portrait de 3 à 4 minutes et réalise ainsi une douzaine d’épisodes par an.
Aujourd’hui, la série Good morning Sanofi ne s’essouffle toujours pas et entame allègrement sa quatrième saison. Mieux, d’autres services du groupe Sanofi, comme le marketing, se sont appropriés cet outil de communication interne qui a également reçu plusieurs récompenses dans les festivals ces deux dernières années.
Vidéos interactives, quizz, scénographie…
Le web a aussi permis de faire émerger de nouvelles formes de narration liées à l’interactivité intégrée directement aux vidéos. Tulipes & Co, comme quelques autres acteurs en France, s’est fait une spécialité de ce mode de création. Récemment, l’agence a réalisé le module d’accueil des employés d’Eurovia, une filiale du groupe Vinci sous la forme d’une vidéo interactive à vocation pédagogique.
Chaque nouvel employé du groupe accède d’abord à une vidéo dans laquelle des questions lui sont posées afin qu’il se géolocalise et indique son âge et son métier. Dès lors, suivant le métier qu’il exerce il va voir en priorité une vidéo sur les activités en rapport avec son métier et le pays dans lequel il exerce, avant de découvrir les autres activités et les implantations de Vinci dans le reste du monde, ses valeurs… Des quizz ludo-pédagogiques sont enfin proposés à la fin des séquences vidéo interactives, afin de vérifier de manière ludique que les messages ont bien été compris.
Souvent aussi le film de commande est diffusé sur le web et s’intègre au cœur de dispositifs scénographiques in situ. Ce fut le cas en 2014 pour Sébastien Marqué (Victor & Lola) et son équipe à l’occasion d’une commande de l’Union des industries et métiers de la métallurgie qui voulait revaloriser les métiers de cette filière auprès des collégiens et lycéens. Afin de parler aux jeunes et d’affronter les clichés de cette industrie, le studio a emprunté les codes des web-vidéos diffusées sur YouTube… mais pas seulement. Il a aussi diffusé un film (et plusieurs autres épisodes depuis) via un dispositif scénographique organisé autour d’un bloc de métal, l’OMNI (Objet métallique non identifié) installé de manière temporaire au beau milieu des établissements scolaires.
À noter que ces films et l’opération événementielle autour ont été lauréats en 2015 du festival Films and Companies et des Cannes Corporate Média & TV Awards.
* Extrait de notre article paru en intégralité, pour la première fois, dans Sonovision #3, pp 28-32. Abonnez-vous à Sonovision pour recevoir, dès leur sortie, nos articles dans leur totalité.