Paris immersifs pour la Cité de la Mer à Cherbourg

La Cité de la Mer à Cherbourg, dont le nouveau parcours L’Océan du futur vient d’être inauguré, multiplie les expériences de visite. Entre exploration et immersion.
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« L’océan est l’avenir de l’humanité », rappelle la Cité de la Mer dont la mission est l’exploration sous-marine et la découverte des grandes profondeurs. Pour parler de manière forte de son nouveau thème, L’Océan du futur, la Cité a mis le cap sur les immersions réelles et virtuelles en s’appuyant sur les aquariums existants (plus d’une quinzaine de toutes les tailles), mais aussi sur la découverte d’un ballet aquatique magistralement composé en images et sons par le scénographe Pascal Payeur (atelier Expositif). En dégageant sur toute sa hauteur l’aquarium abyssal (11 mètres de haut, le plus profond d’Europe) et en en sortant virtuellement ses habitants, celle-ci gomme les limites et amène les visiteurs au plus près du propos très dense de la Cité.

 

 

Mises en abîme

Cette mise en abîme des regards se joue tout au long du parcours de 1 400 mètres carrés. Décomposée en 18 séquences, cette visite part du haut du pavillon avant de « plonger » de trois étages. Plusieurs grands moments immersifs et exploratoires ponctuent cette descente dans les profondeurs de l’océan abondamment mis en image par les Films d’Ici (Philippe Barbenés) et Olivier Brunet, qui a supervisé les documentaires (montage d’images d’archives et stockshots) dont un volume important de « petits » films comme l’expédition scientifique de la goélette Tara, les plongées en grande profondeur, les interviews d’océanautes, etc.

Prologue au parcours, l’espace Planète Océan met face à face un globe terrestre s’animant sous l’effet d’une vidéoprojection de cartographies anciennes et l’océan vu à hauteur d’homme, figuré par une fresque panoramique brassant son histoire (sur cinq milliards d’années). La rencontre grandeur nature avec les créatures de la mer a lieu un peu plus loin avec la découverte du grand aquarium, puis d’un spectaculaire espace d’images flottantes, projetées sur des hautes lames de verre, qui montre en vue rapprochée quelques-uns de ces géants (cachalot, dauphin…) mais aussi des plongeurs s’invitant parmi eux.

Le mouvement ascendant des images qui se perdent dans le plafond en tôle d’inox bosselé et la composition sonore créée par Olivier Lafuma participent à cette première mise en apnée. « La matière sonore permet l’immersion alors que l’image reste dans un rapport plus frontal, remarque Pascal Payeur. Mais les sons et les images sont complémentaires ». Dans le socle sombre des lames, des écrans tactiles réfléchissent les images et délivrent leur contenu dès que la surface est effleurée.

Faisant lui aussi partie de la métaphore (la descente dans les grandes profondeurs), le grand escalier de la Cité est enveloppé par d’immenses vidéoprojections (issues de stockshots du film Océans de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud) sur un décor qui évoque une fosse sous-marine. Pour conforter cette impression, l’espace est sonorisé comme une chambre anéchoïque (sans réverbération).

Autre moment fort de la visite, la découverte du plancher océanique se fait dans une ambiance de clair-obscur et au moyen de plusieurs maquettes animées en vidéomapping. Texturées avec des modèles très précis d’Ifremer, des maquettes usinées en numérique simulent un fumeur noir, qui se découvre comme dans une poursuite lumineuse, ainsi qu’un canyon du golfe de Gascogne et une source hydrothermale sous-marine. L’ensemble de la scène est accompagné de témoignages d’océanautes qui, comme Don Walsh ou Anatoly Sagalevich, ont pu observer ces étranges phénomènes à bord de leurs submersibles.

Clôturant le parcours, une immersion conçue comme un kaléidoscope attend les visiteurs. Un triptyque d’images sous-marines encadre un aquarium de coraux éclairé en lumière noire. Le dispositif lumineux est synchronisé avec la projection. En mode nuit, le triptyque (des miroirs sans tain) s’efface devant le spectacle des coraux qui deviennent fluorescents. En mode jour, la rétroprojection alterne des coraux filmés par Olivier Brunet et des poissons saisis à dessein avec un regard caméra. Ce face à face, porté par une musique spatialisée d’Olivier Lafuma, devrait questionner les visiteurs sur la place de l’homme dans cet écosystème fragile et à l’origine de la vie.

 

 

Questionner l’océan

Si le parcours met en jeu la perception du monde marin reconstruit de manière artificielle dans l’aquarium et approché en virtuel, le propos de la Cité de la Mer est développé au moyen de manipulations physiques (loupes géantes de grossissement de micro-organismes, etc.) mais aussi de nombreuses bornes interactives insérées dans le décor ou connectées à des dispositifs que les visiteurs actionnent afin de déclencher des vidéos. Tous ces dispositifs (une quinzaine) avec leurs contenus associés (sous la forme de films d’animation 2D ou de montages numériques) ont été pris en charge par Anamnesia.

Également développées par la société strasbourgeoise, deux installations interactives permettent aux visiteurs de s’impliquer plus en profondeur dans le sujet. Sans venir faire concurrence aux bassins, une grande projection interactive de 15 mètres de long montre une vingtaine d’espèces remarquables (pour la recherche scientifique…) simulées de manière réaliste et évoluant sur un fond sous-marin. En tendant la main vers cette fresque, les visiteurs coupent un faisceau laser de détection de mouvements et peuvent ainsi « saisir » l’une d’entre elles. Des diaporamas s’affichent alors sur l’image. Ce dispositif multi-utilisateurs (jusqu’à 15 personnes) est adossé à un bassin tactile dont les poissons peuvent être « touchés » par les visiteurs.

Élaborée également par Anamnesia, une grande table multi-utilisateurs (six joueurs) dotée d’un écran 65 pouces 4K invite à découvrir les nourritures de la mer et à composer un menu entièrement océanique à partir d’une importante base de données de produits marins. Cette table est dressée non loin du salon Jules Verne, conçu comme un cabinet de curiosités, dont la fenêtre est grande ouverte sur l’aquarium abyssal.

 

 

Les outils de l’immersion

Ces effets de reflets, de transparences et de lumières, si propres à cette scénographie illusionniste, ont été étudiés et validés en réalité virtuelle chez Ijin Prod (Paris). « Bien avant que le chantier ne soit terminé, le scénographe, le réalisateur et le client ont pu expérimenter les espaces et avoir un aperçu des vidéoprojections dans les modules et voir comment celles-ci interagissaient », remarque Yannick Tholomier (Ijin Prod).

Ainsi du module Planète Océan de l’entrée, de l’espace aux lames de verre positionnées sans axe de vue privilégiée et jouant avec les réflexions du sol et du plafond, et bien sûr du spectacle final tout en kaléidoscope de matières réfléchissantes. Le moteur en temps réel Unreal Engine, couplé avec le casque HTC Vive, a pu simuler avec précision ces surfaces de projection modélisées avec LightWave 3D (à partir des fichiers Sketchup fournis par la scénographie).

« Unreal restitue de manière réaliste les éclairages et les réflexions dans les vitres. Même si la modélisation de l’espace reste sommaire et la résolution des images projetées assez faible, c’est l’effet d’immersion qui prime ainsi que la sensation de se retrouver dans l’espace, de s’y déplacer, etc. » L’outil se montre, par contre, moins indispensable pour mettre au point les vidéoprojections sur les maquettes aux formes trop complexes : les ajustements – dont la position des projecteurs – s’effectuant plutôt sur place. La réalité virtuelle n’a pas été utilisée pour les projections interactives.

 

Pour que la magie immersive opère, il fallait enfin que les équipements techniques mis en place par Vidélio essaient de se faire oublier et de ne pas trop perturber les habitants des bassins : « Ce respect du vivant a été pris en compte tout au long du chantier, relève Olivier Richard, chef de projet chez Vidélio. Il ne fallait pas de lumières parasites sur les bassins qui ont dû être protégés de la poussière et du bruit. »

L’intégrateur a fait aussi en sorte que les vidéoprojecteurs laser (une trentaine de Panasonic série PT, BenQ…) soient placés dans des configurations permettant de s’adapter au plus près de la scénographie : en mode paysage ou portrait sur les grandes lames de verre, orientés vers le plafond ou décentrés et sur la tranche pour accompagner les visiteurs dans leur descente de la « faille » ou « attraper » des petits poissons sur la fresque interactive…

Pas de régie centralisée pour le pavillon des aquariums, qui a multiplié par six le nombre de ses vidéoprojecteurs (28 aujourd’hui) et par quatre celui de ses écrans tactiles (30 écrans), mais un automate de type Crestron pour contrôler les modules (allumer/éteindre, envoyer des mires de maintenance, etc.). « Nous ne pouvons pas prendre le risque d’une régie centralisée qui pourrait tomber en panne et faire perdre deux heures sur une journée d’ouverture », remarque Frédéric Degasne, responsable informatique et multimédia.

C’est le même principe d’efficacité qui se trouve décliné dans les autres espaces de la Cité de la Mer. Laquelle forme, avec ses 10 000 mètres carrés d’expositions et d’attractions (grande galerie, Le Redoutable, Emigration et Titanic, On a marché sous la mer…), un complexe devenu incontournable sur l’exploration des océans.

 

 

CITÉ DE LA MER À CHERBOURG

  • Architecture : Hardel et Lebihan
  • Muséographie : Lydia Elhadad
  • Scénographie : Atelier Expositif (Pascal Payeur et Sylvie Jausserand)
  • Audiovisuel : Les Films d’Ici, Olivier Brunet
  • Designer sonore : Olivier Lafuma
  • Multimédia : Anamnesia
  • Studio d’infographie : Ijin Prod (Yannick Tholomier)
  • Ingéniérie audiovisuelle : Videlio
  • Lumière : Agence 8’18”

 

 

Article paru pour la première fois dans Sonovision #15, p.66-70. Abonnez-vous à Sonovision (4 numéros/an + 1 Hors-Série) pour accéder, à nos articles dans leur totalité dès la sortie du magazine.