Sonorisation, impact et pollution sonore

À l’occasion d’une session de mesures d’impact effectuée en plein air où le rayonnement d’enceintes sub de marques différentes, ainsi que des solutions reposant sur des projecteurs sonores sont analysés, rencontre avec des professionnels confrontés aux problématiques liées aux nuisances sonores. Partage de connaissances et échanges d’idées autour d’une thématique de plus en plus précisément encadrée par la loi…
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Entre la norme NF S 31-010 de décembre 1996 portant sur la « caractérisation et le mesurage des bruits de l’environnement », la NF S 31-122 publiée en janvier 2017 qui définit les « prescriptions relatives aux Limiteurs, Enregistreurs et Afficheurs (L, E, A) de pression acoustique utilisés lors d’activités de diffusion sonore amplifiée » ou encore le décret n° 2017-1244 du 7 août 2017 relatif à « la prévention des risques liés aux bruits et aux sons amplifiés », l’encadrement légal devient de plus en plus précis et exigeant.

Il s’applique à tous les lieux diffusant des « bruits » ou des sons amplifiés qu’ils soient clos (salles de concert, cinéma, discothèque, bar, restaurant…) ou ouverts (festival, animation de plein air, terrasses) devient de plus en plus précis et exigeant. D’un autre côté, l’émergence de festivals consacrés aux musiques actuelles dans des zones urbaines s’accompagne régulièrement de plaintes émanant du voisinage.

Ce fut par exemple le cas en juin dernier, lors de la dernière édition du « We love green » qui avait lieu au Bois de Vincennes, et où la sono généreuse en basse faisait également profiter les riverains de Saint-Mandé, Champigny ou Joinville qui se plaignaient « du boom boum continuel ». On imagine le dilemme de l’ingénieur du son qui d’un côté est tenté d’assurer le show sans retenue, et de l’autre se doit de remplir sa mission sans pour autant troubler la quiétude des riverains.

Mais au-delà des manifestations temporaires, c’est aussi la sonorisation permanente des lieux festifs urbains, du night club au rooftop, en passant par les bars branchés, sur laquelle les professionnels se doivent de réfléchir. C’est dans ce contexte législatif et sociétal que nous rencontrons plusieurs professionnels conviés par Antoine Hurtado qui, au travers de sa structure 3 dB spécialisée dans les études d’impact sonore, est quotidiennement confronté à ces problématiques.

 

Prévision et mesures réelles

Comme les enceintes de sub sont grosso modo porteuses du spectre que les pros appellent l’octave 63 qui correspond à la plage 44,5→89 Hz, soit précisément les fréquences susceptibles de porter le plus loin et d’impacter le voisinage, « le but de ces mesures est de vérifier que la directivité contrôlée des sub que proposent aujourd’hui les grandes marques de systèmes de sono est dans la réalité conforme aux simulations des constructeurs », explique Antoine Hurtado qui poursuit : « Autant en intérieur on arrive maintenant à effectuer des simulations fiables, autant en extérieur, prédire comment un système de sonorisation va impacter le lieu n’est pas si simple. Le son part dans tous les sens, rebondit sur les immeubles, sans parler de facteurs externes comme le vent par exemple. Pourtant, on doit pouvoir répondre à des questions précises comme par exemple à quelle puissance pourra jouer un DJ en plein air dans un lieu comme l’hippodrome de Longchamp ?

Nous n’avions jamais eu l’occasion de confronter le résultat calculé par les simulateurs et la mesure réelle effectuée dans les mêmes conditions, sachant que sur le marché, on trouve d’un côté des simulateurs dont le but est de prédire ce qui va se passer à l’intérieur de la zone couverte. » L’offre est effectivement composée aujourd’hui de logiciels proposés par des constructeurs comme SoundVision (L-Acoustic) et ArrayCalc (D&B) ou de logiciels compatibles multimarque comme Ease (édité par AFMG) qui permet l’import des diagrammes de directivité.

De l’autre côté, il existe des solutions comme CadnaA (édité par 01dB), SoundPLAN et NoizCalc (proposé par D&B en collaboration avec SoundPLAN) conçues cette fois pour déterminer l’impact sonore d’une source sur le voisinage. Dans ce cas, c’est la modélisation de la propagation (selon la norme ISO 9613-2 ou d’autres normes) du son émis par une source qui est effectuée en tenant compte du relief, de la végétation, des constructions.

« On peut y rentrer des éléments cadastraux, des courbes de niveaux, renseigner sur la végétation, la forme et la hauteur des immeubles alentours. On place également les sources afin d’obtenir une cartographie sur l’impact sonore permettant de prédire comment le système de sonorisation rayonnera sur son environnement, comment il impactera les communes, les habitations voisines. C’est assez complexe à paramétrer et ça tient plus ou moins compte de la directivité des sources car en acoustique environnementale, on travaille avant tout sur des sources omnidirectionnelles et non des sources directives de type cardioïde voire hypercardioïde. Aujourd’hui on essaye donc de vérifier que cette directivité contrôlée correspond bien à la réalité en comparant le modèle numérique et les mesures réelles, le tout effectué en extérieur. »

 

Dans la zone d’écoute et au-delà

Le jour de ma visite, plusieurs professionnels motivés à l’idée de faire avancer leurs connaissances prennent part activement aux préparatifs et au mesurage. Parmi eux, Mathieu Delquignies, ingénieur du son évoluant au sein du département Formation et Application support chez D&B Audiotechnik, résume les ambitions et les objectifs du constructeur allemand qui a fait de la directivité un axe fort de sa politique de communication et de développement.

« Pendant quinze ans, D&B a concentré ses efforts autour d’un meilleur contrôle de la directivité pour que tout le monde entende le même son partout. Et puis, il y a sept ans, nous avons commencé à nous préoccuper de ce qui se passe en dehors de la zone d’écoute, ce que l’on pourrait appeler la pollution sonore. Une bonne manière d’avancer car en intérieur, moins il y a d’énergie déployée en dehors de l’axe de diffusion, moins la salle est excitée et plus on gagne en qualité. Mais, c’est aussi dans l’air du temps de réfléchir aux nuisances sonores, de proposer des zones de repos. C’est important également pour les travailleurs backstage qui peuvent entendre pendant une longue durée un son inconfortable et fatiguant. En plateau TV également, sur des émissions comme The Voice par exemple, le son hors axe entendu par tous les techniciens vidéo et les cadreurs n’est absolument pas cohérent avec ce qu’entendent le public et les ingénieurs du son. »

Au-delà de la directivité des sub, le constructeur allemand propose aujourd’hui la série SL qui permet de déployer un réseau dont la directivité est contrôlée par DSP sur tout le spectre et se distingue par son simulateur maison : « NoiZCalc est proposé depuis trois ans. À l’inverse des autres simulateurs, il se préoccupe de ce qui se passe dans la zone d’écoute, mais aussi hors de cette zone, entre les scènes, mais aussi plus loin, à l’extérieur du festival, dans un périmètre jusqu’à 5 km autour. Cette intuition était bonne, car depuis un an et demi, un décret est passé en France et demande de réaliser une étude d’impact sur le voisinage. Cette solution permet d’anticiper, d’aménager le site au mieux en orientant par exemple la scène de façon à envoyer le son dans la direction où il gênera le moins. Pour l’instant on ne sait pas arrêter le son au bout d’une certaine distance. » Peut-être une étape future ?

 

L’artisan du son sur mesure

Parcours bien différent pour William Ménard, également ingénieur du son devenu quant à lui intégrateur de systèmes son sur mesure, puis créateur, voici deux ans, de Palladium Audio, sa propre marque d’enceintes fabriquées selon son cahier des charges. « Comme je ne trouvais pas ce que je cherchais sur le marché, j’ai créé mes propres enceintes, ce qui me permet de travailler main dans la main avec les designers afin d’assurer une bonne qualité sonore et une intégration parfaite. »

Parmi ses réalisations récentes, citons les restaurants italiens du groupe Big Mamma, le plus imposant étant l’immense food market La Felicità situé dans l’ancienne Halle Freyssinet, au cœur du campus de startups Station F. « Les créateurs de Big Mamma sont des passionnés de son et de hifi et je pense qu’ils ont été sensibles au fait que mes enceintes soient “made in France”, fabriquées avec des méthodes artisanales. D’une manière générale, je pense que cet aspect a une importance dans mon carnet de commande. » Les Parisiens ont également pu voir et écouter ses réalisations à La Cité de la Mode (le club Le Garage au sous-sol, l’ancien Communion au rooftop) ou encore le lustre sonore en plexiglass exposé un temps aux Galeries Lafayette.

Biberonné à l’écoute plaisir prodiguée par des enceintes imposantes comme les JBL 4343 et 4350, William Ménard précise sa démarche : « J’envisage le son en sonorisation avec cette esthétique, plutôt que la praticité à tout prix. J’essaye d’apporter un son agréable qui permet d’écouter de la musique avec plaisir, pendant des heures sans fatigue et me retrouve à fabriquer des enceintes avec pavillon exponentiel et membrane au béryllium pour les compressions d’aigus », confie-t-il avec un sourire gourmand, avant de nuancer : « il m’arrive parfois de travailler avec des solutions plus “sages” comme des enceintes de plafond qui, même si elles ne sont pas idéales d’un point de vue acoustique, présentent des avantages dans certains cas. Ma démarche est de fabriquer de très bonnes enceintes, mais qui doivent également être réussies sur le plan esthétique de façon à devenir un bel objet que l’on pourra alors intégrer dans le décor et placer au meilleur endroit. »

Reste qu’au-delà de l’aspect design et qualité de son, le jeune artisan constate également une demande pour des systèmes directifs, d’où sa présence durant les séances de mesures : « Les nuisances en ville deviennent une vraie préoccupation pour mes clients. Le défi auquel je suis confronté est de faire ressentir de grosses basses et des sensations physiquement agréables, sans perturber la vie de la ville et c’est pourquoi nous testons aujourd’hui ces solutions à base de plancher actif vibrant motorisé par des actuateurs que les Américains appellent « bass shaker ». La difficulté consiste à faire vibrer une dalle de plancher sans occasionner de vibration parasite qui pourrait rayonner et produire du grave… »

 

Les projecteurs sonores : de la muséographie aux rooftops parisiens

Autre sujet d’intérêt, les projecteurs sonores sont aussi soumis à une série de mesures durant la session. Mis à disposition par Euphonia, société qui propose ce type de solution à la location, ces équipements, qui restent marginaux dans le monde de la sonorisation, se singularisent par une directivité hors norme exploitée entre autre en muséographie où ils peuvent dans certains cas remplacer une diffusion par casque.

Parmi les solutions testées, l’HyperSound HSS 3000 est un diffuseur qui propage le message sonore via une porteuse ultrason au sein de laquelle le son devient audible dès qu’il rencontre un obstacle. Ce pourra par exemple être le corps humain qui joue alors le rôle de démodulateur.

Antoine Hurtado imagine pour ces projecteurs une utilisation plutôt inattendue : « Pour nous qui installons des terrasses de petites ou moyennes tailles, notamment sur des rooftops, si nous pouvons réussir à obtenir une zone où il y a du son et une autre à côté où il n’y en a pas, ce serait idéal. Alors, ces systèmes ont l’avantage d’être réellement ultra directifs, très timbrés, ils présentent également une signature audio particulière et une réponse en fréquence incomplète que nous essayons ici de compenser avec des planchers vibrants. »

Les premiers tests auxquels j’ai assisté montraient effectivement une directivité incroyable permettant réellement d’envisager des zones festives très proches de zones de calme, un son très localisé dans les hautes fréquences, quelques sensations procurées dans le bas du spectre avec le plancher vibrant qu’il faudra sans doute optimiser. On attend en tout cas avec intérêt les premières applications de ces recherches…

 

Article paru pour la première fois dans Sonovision #17, p.62-64. Abonnez-vous à Sonovision (4 numéros/an + 1 Hors-Série) pour accéder, à nos articles dans leur totalité dès la sortie du magazine.