Dans les coulisses du mapping de Saint-Jean (1ère partie : jour J-1)

C’était l’un des projets phares de la Fête des Lumières 2018. Le studio portugais Ocubo a proposé pour la cathédrale Saint-Jean un incroyable mapping 100 % images réelles. Sonovision a accompagné l’équipe pendant les deux jours précédant la Première. Entre montée du stress et derniers réglages, plongée dans les secrets des mappeurs.
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« Ocubo va marquer l’histoire de la Fête des Lumières ! » À Lyon, le projet de « mapping créatif sans images de synthèse » du studio portugais Ocubo, déjà remarqué en 2017, était très attendu. « Le projet Pigments de lumière à la cathédrale Saint-Jean s’annonce comme un des plus beaux de la fête », confiait à J-1 Yann Cucherat, élu lyonnais en charge des grands événements. Il faut dire que le studio a le vent en poupe, tout juste distingué lors des Best Event Awards.*

Sonovision a donc suivi l’équipe pendant les 36 heures qui ont précédé la fête. Une occasion unique de raconter le long processus de préparation, et l’intensité progressive jusqu’à la Première.

 

 

J-1 : Mercredi 5 décembre 2018

 

12 h 30 : réveil difficile

« En général, le matin, on dort… sauf quand un journaliste nous embête ! » Producteur et coordinateur du projet, Edoardo Canessa sourit malgré ses traits tirés. Un jour avant la fête, tout repos semble illusoire. « Ce matin, nous avons fini à 7 heures. On ne peut pas tester le rendu graphique, les effets, le laser, quand il fait jour… ».

Depuis le 30 novembre, une dizaine de personnes d’Ocubo (artiste, producteur, électriciens et techniciens) s’affairent pour tout préparer. Les premiers jours, il a fallu réceptionner et installer le matériel : construire la minuscule régie technique dans un coin de l’étage de la MJC, face à la cathédrale ; emmener sous les toits, au monte-charge puis à la main, les douze projecteurs et leurs serveurs ; grimper sur la cathédrale pour fixer sur le balcon cinq enceintes et le système son, et disposer pour le laser dix-neuf petits miroirs de 15 cm sur la façade…

Les nuits, il fallait caler et programmer les projecteurs, façonner la timeline, préparer le laser… À distance, le musicien Sylvain Moreau a dû reprendre son mixage. « Sur place, le rendu sonore est toujours différent. Il faut toujours l’adapter », souligne Edoardo. Les dernières heures s’annoncent intenses.

 

 

13 h : un projet fou

En terminant son café, Edoardo confie son enthousiasme. « Saint-Jean, c’était notre rêve. Nuno Maya, cofondateur de l’agence, est tombé amoureux de ce site. » L’équipe voulait donc marquer le coup avec « une idée dingue » : Pigments de Lumière, une déclinaison de couleurs « sans aucune image de synthèse ». « Une approche organique, des harmonies abstraites avec les éléments naturels », précise Edoardo.

Pour respecter leur contrainte de « tout faire à la main », Ocubo a donc torturé des impressions en 3D de la façade, à différentes échelles et niveaux de détails. « Tout était autorisé. On a beaucoup joué ! » Pendant quatre mois et demi, le studio s’est transformé en laboratoire. « Il fallait faire, faire et refaire, raconte Nuno Maya. Tester divers effets, modifier les constantes… »

Le making-of permet de saisir l’aventure : deux caméras classiques et une caméra hyper slow motion Phantom ont capté en 4K les façades inondées dans des aquariums, arrosées de pigments et d’encres, recouvertes de semis germant en timelapse… Il y a plus fou : ces formes mouvantes, à base de super-aimants et de ferrofluides ; ces effets de cristallisation, avec l’aide de chercheuses en chimie de l’Université de Lisbonne. Et que dire du final : l’explosion de roses de Lyon surgelées à l’azote liquide, puis une animation à la main de 150 fleurs, en stop motion, soulignée par des effets à la lampe de poche…

Avec leurs « centaines d’heures de rushes », les créatifs ont alors imaginé une dramaturgie, avec des chapitres par couleur. La démarche s’apparente plus à du cinéma que du mapping. « On exploite des séquences PNG de 25 images par seconde. Pour 7 minutes 30 de film, cela fait beaucoup ! », détaille Edoardo. Impossible de corriger l’image. « On peut juste les retraiter un peu. Quand on a changé 10 secondes de la fin, il a fallu remplacer à peu près 250 frames. » Une gestion très différente de l’infographie.

« La 3D, c’est plus facile, juge le producteur. On budgète des postes de graphistes, qui créent les images nécessaires. Là, cela a demandé plus de moyens, avec beaucoup d’images perdues… » Le montage a duré un mois. « On n’était jamais contents, on voulait toujours de meilleures images. » Avec un avantage indéniable : « Les maquettes, aux proportions réelles, étaient nos matrices : tout était forcément calé ! »

 

 

13 h 30 : l’école du mapping

Dans une salle de la MJC, Nuno Maya porte une blouse intégrale et des lunettes de protection. « Une petite mise en scène pour les enfants », murmure-t-il. Même s’il reste « beaucoup de travail », il a accepté d’animer deux heures d’atelier pour les enfants de la MJC. « Au moins, on se détend un peu. Dans l’identité d’Ocubo, il y a toujours eu cette envie de transmission. »

Deux groupes de douze jeunes se succèdent. « Bonjour et bienvenue au laboratoire de lumière ! Je m’appelle Nuno, et je viens du Portugal. » Le professeur de mapping évoque la lumière, l’optique, l’art de la projection… Les enfants sont bouche bée face au making-of. « Cela va donner ça sur l’église ? Wow ! » En fin d’atelier, ils s’amusent avec des façades 3D de la cathédrale : couleurs qui dégoulinent, réactions du ferroliquide… « On va projeter nos images demain ? » demande un petit. « C’est un peu compliqué, sourit Nuno. Vous pourrez dire que vous avez fait la même chose ! »

 

 

15 h 45 : à table !

Pour les dernières heures, Nuno et Edoardo sont accompagnés par Telmo Ribeiro, technicien laser, Sandro Brito, technicien vidéo, et Florian Eder, envoyé en soutien par l’entreprise autrichienne AV Stumpfl. « On ne dort pas beaucoup, mais il faut manger », rappelle Edoardo.

Pas le temps d’aller au restaurant : sur le conseil du collectif Coin, croisé à Riga, Ocubo se fait livrer un catering sur place. Le hachis parmentier est l’occasion de faire un point. « On a corrigé un peu le générique. Là, on est en pleine synchronisation du laser. Ce soir, on a la répétition générale devant la presse. » Une version « Secure » est prête. « 99 % des gens penseront que c’est bon. Mais on a la maladie des artistes et techniciens : ne voir que les défauts. On peut toujours améliorer quelque chose ! »

L’équipe est rassurée : la projection sur la rosace fonctionne. « On était inquiets, car un échafaudage la cache », note le producteur. Le studio espérait qu’elle soit libérée pour la fête, mais des questions de sécurité ont empêché cette option. Après discussion, la Ville a imprimé la rosace en taille réelle sur une bâche. « On est agréablement surpris : on ne remarque presque pas la différence lors des projections. » Il confie d’ailleurs un esprit solidaire dans le milieu : « Les studios des années précédentes nous ont fourni leurs photos matrices sans échafaudages ! »

 

 

16 h 15 : un Tetris de projecteurs

Edoardo monte vérifier les projecteurs. « On a fait une installation de fou », prévient-il en ouvrant la porte. C’est vrai : dans deux minuscules pièces, les douze Christie D20WU-HS de 20 000 lumens équipés d’objectifs zoom 140-111104-XX (2.0-4.0:1) sont en équilibre à la verticale !

« Les fenêtres sont petites, on s’est donc adapté. On avait simulé une installation horizontale, mais cela ne fonctionnait pas bien. » Les techniciens ont imaginé deux carrés et une ligne de quatre projecteurs, tous inclinés différemment, pour réussir à couvrir toute la cathédrale. Ils sont maintenus par huit cadres Christie et quatre structures maison. « On n’avait pas d’autre choix pour en mettre le maximum, tout en s’assurant de leur stabilité, soutient le producteur. On a mis de longues heures à tout caler, millimètre par millimètre. Ce sont des projecteurs laser : la position verticale ne pose pas de souci. »

Ocubo tenait à avoir le maximum de puissance. « On est face à une belle façade, à la pierre claire, justifie Nuno. Le recul (60 m) est parfait. On a fait un choix artistique : une grosse puissance, pour plus de résolution. C’était important pour ce projet organique, avec beaucoup de couleurs et de détails naturels. »

 

 

16 h 30 : du boulot sur le laser

Les techniciens s’affairent sur le réglage du laser, un Kvant 33w RGB piloté par Pangolin Beyond. « Cela nous a pris la nuit dernière, cet après-midi et probablement encore la prochaine nuit, chuchote Edoardo. Nuno, il n’est jamais content ! »

Normal : la scénographie lui accorde une grande importance. « Chaque chapitre de couleur est introduit par un effet laser, explique le producteur. Ils apportent un petit supplément aux images. » Parfois, il renforce les tableaux, en se reflétant dans les miroirs. « Régler le laser sur les miroirs a été une vraie folie, analyse Edoardo. C’est vraiment tout petit… » D’autant qu’il faut être prudent. « On doit éviter les endroits dangereux : ne jamais viser, en direct ou avec rebond, les gens, les fenêtres, le ciel à cause des avions… » La seule solution : atterrir sur les murs et les toits. « C’est une chose de viser les miroirs, c’en est une autre d’adapter le reflet avec un rendu esthétique… ».

 

 

21 h 45 : répétition générale

Le mercredi soir, c’est l’avant-première pour la presse. « C’est notre premier essai officiel, je suis un peu sous tension », concède Edoardo. Vers 22 h, le téléphone sonne. « Ils arrivent, annonce le producteur. Bonne chance ! » Il descend avec Nuno pour rencontrer les médias. Le projet fait un carton : il sera le seul à devoir être joué trois fois. Edoardo refusera même une quatrième boucle « par respect pour les voisins ».

Face aux caméras, Nuno et Edoardo décrivent le caractère original et analogique du projet. « C’est superbe, juge le producteur. On est très heureux. Le film et le son sont prêts. Espérons que cela soit aussi bien les prochains jours. » Plus qu’une nuit !

* Fruit de la rencontre, au Pôle Image d’Angoulême, entre Carole Purnelle, designer belge, et de Nuno Maya, animateur 3D portugais, le studio Ocubo est né près de Lisbonne en 2004. Depuis, il développe des shows monumentaux au Portugal et dans le monde, organisant également le festival Lumina, au Portugal. Comme l’an dernier, lorsque le studio avait réalisé à Lyon un mapping avec les élèves d’un collège, Ocubo prône « des projets immersifs, impliquant souvent les spectateurs dans le processus créatif ». Avec succès : son Lisbonne under stars, mêlant musique et lumière dans une église sans toit, a été nommé « Meilleur événement culturel du monde » lors des Best Event Awards de novembre.

 

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Extrait de l’article paru pour la première fois dans Sonovision #14, p.22 -26Abonnez-vous à Sonovision (4 numéros/an + 1 Hors-Série) pour accéder, à nos articles dans leur totalité dès la sortie du magazine.

 

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