« L’Odyssée sensorielle », émerveiller pour instruire…

Avec sa nouvelle exposition immersive consacrée au monde du vivant, le Muséum d’Histoire naturelle propose, en coproduction avec le Studio Sensory Odyssey, une expérience immersive d’un nouveau genre : un voyage dans huit écosystèmes où la nature se révèle en sollicitant la vue, l’ouïe et l’odorat des visiteurs.
Un million d’euros de matériel audiovisuel déployé par Mercredi8. © N. Klimberg

 

Avec cette odyssée née à l’initiative du producteur Gwenael Allan, l’adage du Muséum « émerveiller pour instruire » s’exprime dans toutes ses dimensions ! Youenn Le Guen, fondateur-président d’Artisan d’idées, et maître d’œuvre du dispositif audiovisuel, du tournage aux écrans, nous ouvre les coulisses de cette aventure hors norme qui a mobilisé un grand très grand nombre de métiers et de disciplines…

 

Un parcours aux quatre coins du monde pour une déambulation d’une heure

L’exposition se compose de huit salles qui racontent le vivant de l’équateur au Pôle Nord, et, pour concrétiser ce projet qui a démarré il y a deux ans, Youenn Le Guen est parti sillonner la planète avec une équipe différente pour chacun des huit univers.

« Nous avons composé les images en observant les codes cinématographiques traditionnels mais pour créer une impression d’immersion optimale nous ne pouvions pas réaliser n’importe quel type de mouvement. Dans la troisième salle, consacrée à la forêt tropicale, nous avons notamment mis en place un travelling qui s’enfonce dans la forêt avec pour point de départ la canopée à cinquante mètres de haut. C’est un peu compliqué à faire à l’instant T car si l’on croise une faune foisonnante pendant le tournage, elle ne reste pas pour faire de la figuration ! », se souvient le producteur avant de préciser : « Au final, on a des projections en vis-à-vis, d’autres à 180 degrés…L’idée était de varier les postures du visiteur pour l’entraîner dans une démarche de découverte contemplative mais sans monotonie. »

 

Tournage : à chaque écosystème ses problématiques !

« On a tourné en soixante images par seconde pour conserver un maximum de détails dans l’image, mais cela a eu une un impact sur la volumétrie rushes puisqu’on a dépassé les 200 teraoctets ! Après avoir défini le contexte dans lequel on allait diffuser les images, nous avons envisagé les configurations de tournage et il a fallu anticiper les problématiques des lieux dans lesquels on allait tourner. On est sous l’eau, à terre, parfois en mouvement et parfois en drones. Il a fallu réfléchir à toutes ces configurations, développer des caissons spéciaux », explique Youenn Le Guen.

Lequel poursuit : « Nous avons la chance d’avoir un vivier de talents en France et nous en avons profité en choisissant des équipes techniques spécialisée pour chaque environnement de tournage ».

« Pour la salle dédiée à la forêt tropicale, nous avons notamment réalisé un travelling d’anthologie… Cinquante mètres de long, de la canopée au sol ! Il a fallu trouver l’arbre et envisager la meilleure solution pour assembler deux caméras avec des optiques ultra grand angle… Ce tournage était très complexe même si on n’avait pas besoin d’obtenir une image 360° parfaite puisque dans le cheminement de l’exposition, dans la salle, il y a deux portes. On a donc juste filmé avec les caméras dos à dos mais il a fallu trouver un système de ventilation car on était dans un environnement où il faisait à 35 degrés avec 98 % d’humidité… En fait, chaque tournage apportait son lot de contraintes ! », se souvient Youenn Le Guen qui généralement tournait avec deux caméras 8K Red Helium ou Monsto.

 

Le gros défi technique de la postproduction

Artisan d’idées, qui possède ses propres équipements, a géré la postproduction en interne… Si environ trois cents à quatre cents jours ont été nécessaires à la postproduction vidéo, lorsqu’on englobe la R&D et les développement annexes, ce sont deux mille jours de travail à temps plein qui ont été consacrés au projet.

« Une fois les tournages réalisés, s’est posée la question d’une interaction qui donne à l’immersion une dimension augmentée », retrace Youenn Le Guen.

Lequel souligne ensuite qu’à « la diffusion, des images de 20 000 x 4 000 pixels en 60 im/s se superposent les unes sur les autres. On a donc dû choisir les compressions qui dégradent le moins possible ces images pour obtenir des poids de fichiers qui soient gérables par les serveurs. On a notamment fait un travail de postproduction assez lourd pour la salle consacrée au récif corallien. Nous avons superposé plusieurs images en 20 000 pixels x 4 000 les unes sur les autres pour composer les éléments naturels sous Flame, avec, au final, huit plates superposées, donc huit fois 20 000 x 4 000 pixels en 60 im/s… Vous pouvez imaginer combien ces fichiers sont lourds d’autant qu’on y a rajouté de l’interactivité ! En général, même pour le cinéma, on n’atteint pas des définitions d’image aussi élevées ! ».

Youenn Le Guen poursuit : « Pour augmenter la sensation d’appartenance à cette nature, on a réintégré du vivant dans les scènes filmées. Réintégrer un oiseau dans un ciel bleu, c’est facile, réintégrer un paresseux à trois doigts sur une branche en plein travelling, c’est plus difficile ! On a fait ce genre de travail avec parcimonie parce que si l’on veut respecter la définition d’image. Les coûts sont monstrueux. Or, nous étions contraints de rester sur un principe de qualité étant donné que le visiteur peut tout à fait coller son nez sur les images et que l’expérience est contemplative. »

 

Un parcours d’une heure développé sur la base d’expériences multiples

« Parfois, on propose une projection au sol tactile. Parfois la déambulation emmène au milieu de tulle avec des effets d’apparitions où l’on se retrouve au milieu des insectes, toujours avec un esprit de sobriété …!, retrace le producteur exécutif qui avec son équipe, souhaitait une interactivité discrète. Nous avons joué sur des effets de lumière, de ventilation, de chaud, de froid, d’odeurs et de sons et nous avons créé des environnements 3D temps réel dans lesquels sont intégrés différentes plates produites en tournage. Les scènes peuvent ainsi varier en fonction du nombre de personnes dans la pièce, de leurs déplacements. Nous avons installé et personnalisé des caméras infrarouges qui sont capables de nous apporter des informations au-delà de la captation de présence : le squelette des visiteurs est analysé de façon très précise et l’on capte les comportements pour générer des algorithmes susceptibles de créer des interactions spécifiques avec l’environnement. Un catalogue d’algorithmes très développé permet d’envisager des scénarios d’une grande variété.

« Dans la salle dédiée au récif corallien, on a développé des animations procédurales pour animer des poissons 3D avec la texture la plus réaliste possible. Ce travail s’est accompagné d’une gestion pointue des rendus de lumière pour raccorder avec les images des tournages. Au final, nombreux sont les poissons se baladant qui ne sont pas interactifs mais, au milieu, quelques-uns sont interactifs. Le visiteur pense le plus souvent qu’il peut interagir sur tout alors qu’en fait, les trois quarts de la scène ne sont pas interactifs ! »

Il y a même une salle qui est interactive du point de vue sonore… « Il s’agit de la deuxième salle, la Savane de Nuit. On y découvre un reflet de lune dans un clair-obscur et toutes les personnes qui s’éloignent un peu trop du centre vont réveiller des animaux qui vont leur rugir dessus. Cette petite salle, qui dispose de vingt-quatre enceintes et d’une isolation phonique bénéficie d’un son ambisonique. Pour développer le concept et mettre en valeur nos sons captés en quadriphonie, nous avons travaillé avec le collectif People are sound qui possède une énorme expérience dans l’acoustique. Nous avons codéveloppé ensemble un moteur 3D temps réel audio.

« Deux autres salles déploient aussi une interactivité avancée : la salle sur l’écholocation avec les chauves-souris ou l’on a recréé un environnement 3D de toutes pièces pour représenter une vision abstraite de l’animal, de même que la salle suivante où l’on a reproduit une coupe de la Terre à partir d’éléments tournés dans un vivarium… Cette salle est très particulière, au sol, on montre tous les réseaux de communication des espèces végétales qui, on le sait, communiquent beaucoup par des systèmes de décharges électriques. Le visiteur peut, sur le sol interactif, relier deux racines pour créer une communication entre les végétaux. »

 

Chaque salle pousse le curseur sur un point fort de la nature

Pour concrétiser ses ambitions vis-à-vis de l’audiovisuel et de l’interactivité, Artisan d’idées a dû développer des serveurs maison très puissants. « Nous travaillons avec la plate-forme Unity qui s’interface avec la solution de diffusion mediaserveur ETC Onlyview, en mesure de gérer des volumes de projection complexes. Pour cet environnement, nous avons dû créer avec ETC des middlewares afin d’optimiser la communication entre Unity et Onlyview pour que la charge des serveurs soit bien répartie entre les GPU leur CPU afin d’assurer une stabilité de l’architecture. Nous nous sommes appuyés sur les dernières générations de cartes Nvidia, à la pointe en termes de rendu et de gestion de GPU… Nos serveurs ne peuvent pas être plus puissants ! Il fallait qu’ils soient en mesure, pour certains, de sortir quatre flux 4K en 60 i/s plus temps réel… », précise Youenn Le Guen.

« Onlyview se charge de la diffusion synchronisée de l’ensemble des flux y compris de la diffusion d’odeurs et, au final, on a huit serveurs dévolus à la captation des informations pour l’interactivité et une douzaine d’autres plus polyvalents. Le dispositif doit tenir dix heures par jour en continu sans bug pendant huit mois… Et pour le moment ça marche ! », s’enthousiasme le producteur qui envisage ce dispositif comme un laboratoire pour d’autres expériences.

« Le but de toute cette technique c’était qu’on l’oublie… On a donc sur les 800 m2 de l’exposition caché autant que faire se peut la quinzaine de serveurs, les trente-six vidéoprojecteurs DLP 4K 10 000 lumens [ndlr : des Mono DLP Digital Projection et Tri DLP Panasonic], les quatre-vingt-seize enceintes et les trente-huit projecteurs d’odeur », souligne Youenn Le Guen avant de préciser : « Modulaire, “L’Odyssée sensorielle” peut se déployer dans un format d’une à huit salles. Cette expérience, qui a été développée pour accueillir un flux de dix à dix-neuf visiteurs toutes les cinq minutes, voyagera ensuite dans le monde. Ici, à la fin de l’expérience, une salle d’information propose aux visiteurs un retour d’exploration pédagogique scénographie par le muséum… ». Après l’émotion, l’instruction !

 

Un collectif de cinq entreprises

Le collectif Artisans d’Idées regroupe sous son étendard des profils très complémentaires – créatifs, ingénieurs, techniciens – à travers cinq entreprises : Lundi8 développe une activité de maîtrise d’œuvre pour des clients publics ; Mardi8 propose une offre de production, Mercredi8 est installateur de matériel, Jeudi8 se focalise sur la programmation R&D et Vendredi8 est exploitant d’exposition.

 

« L’odyssée sensorielle », qui a fait quoi ?

Coproduction du Muséum national d’Histoire naturelle et du Studio Sensory Odyssey sur une idée originale de Gwenaël Allan, en collaboration avec Hervé Bouttet.

  • Direction de projet et commissariat d’exposition : direction des publics du Muséum et Commissariat scientifique du Muséum.
  • Co-auteurs et conception scénographique : Projectiles
  • Création et production numérique, audiovisuelle, ingénierie et contenus interactifs : Artisans d’idées
  • Scénographie numérique : Lundi8
  • Production audiovisuelle : Mardi8
  • Intégration d’équipements : Mercredi8
  • Création de contenus temps réel : Jeudi8

En collaboration avec

  • Création et diffusion sonore : People are Sound
  • Commissariat olfactif : Nez
  • Commissariat neuroscientifique : Terence Ericson

En partenariat avec

IFF, La Guilde, Pixelis, l’Institut des futurs souhaitables

 

Article paru pour la première fois dans Sonovision #25, p. 74-77.