Créé il y a 17 ans, la société Asobo est un studio de développement de jeu vidéo situé à Bordeaux dont les dernières réalisations s’intitulent Plague Tale (avec Focus Home Interactive sur PlayStation 4, Xbox One, PC) ou… Flight Simulator en partenariat avec Microsoft. Rien que ça !
Dans une optique de stratégie de mutualisation des coûts, Asobo a créé une division baptisée HoloForge en 2016 qui propose des applications de réalité augmentée s’appuyant sur les casques HoloLens, le casque de réalité mixte développé par Microsoft. Après avoir séduit les domaines industriels, HoloForge adresse désormais les sites de médiation culturelle et l’un de ses premiers projets, le musée des Plans-reliefs de Paris, a été développé à l’initiative de… Microsoft.
Mont Saint-Michel : une maquette et bien plus encore…
Le musée des Plans-reliefs, situé au cœur des Invalides, n’est pas le plus connu des musées parisiens, mais sa collection de maquettes historiques offre aujourd’hui un témoignage de l’histoire de la fortification, du Moyen Âge jusqu’en 1870. Petite particularité de cette collection, la maquette en plan-relief du Mont Saint-Michel, réalisée au XVIIe siècle, qui propose une vision précise de l’édifice sur une surface d’environ deux mètres sur trois.
Sous le parrainage de Microsoft, une exposition temporaire, « Regards numériques sur la maquette », a été mise en place d’octobre 2018 à janvier 2019. « L’objectif de Microsoft, en nous sollicitant sur cette exposition, était à la fois de démontrer les avantages de la réalité augmentée dans des lieux de médiation culturelle, mais aussi de souligner le fait que même des musées modestes comme celui des Plans-reliefs pouvaient, eux aussi, intégrer la réalité augmentée ou mixte, dans leur offre », explique Antoine Bezborodko, producteur exécutif à HoloForge.
Une visite en RA linéaire
Par groupes de cinq personnes, les visiteurs sont tout d’abord informés par un médiateur physique du contexte et de l’environnement dans lequel ils s’apprêtent à s’immerger pendant une quinzaine de minutes. « Cinq personnes est un nombre relativement restreint permettant une fluidité de passage, sans pour autant se frustrer face à l’expérience », complète Antoine Bezborodko.
Si HoloForge a intégralement conçu la modélisation, c’est bel et bien le musée qui a rédigé les messages qui devaient être diffusés. Au travers de sollicitations du regard, le visiteur va donc pointer son œil vers des points lumineux entraînant ainsi le lancement d’une interaction. Une voix off complète le dispositif qui mise sur la chronologie de l’édifice, de la construction de Notre-Dame-sous-terre jusqu’à l’abbatiale et aux récentes restaurations.
« Alors que la maquette se trouve figée dans le XVIIe siècle, nous proposons aux visiteurs une vision, elle aussi augmentée, de l’histoire du site, avec des schémas 3D holographiques par exemple. » Des sons spatialisés, pour attirer le regard du visiteur distrait, offrent enfin l’assurance que l’expérience linéaire, en solo, sera intégralement jouée.
Le médiateur physique étant hors de la salle, HoloForge a dans le même temps développé une « companion app » permettant, en cas de plantage de l’application, de la relancer à distance tout en proposant le choix de la langue, du volume et de l’apparition ou non des sous-titres. « Notre idée était d’encadrer au mieux l’expérience sans passer par une phase d’apprentissage, car cela s’avère souvent déceptif, surtout pour des publics moins en contact avec les nouvelles technologies. »
À la suite de l’exposition temporaire qui a permis au musée une hausse de la fréquentation de 85 % avec un taux de satisfaction de 97 %, HoloForge a réutilisé les assets 3D pour proposer aux visiteurs du musée des Plans-reliefs une autre approche, plus tactile, sur des bornes interactives pendant quelques mois. Depuis, la maquette physique et son dispositif numérique ont franchi l’Atlantique pour être exposés au MOAI (Museum of History & Industry) de Seattle, non loin du siège de Microsoft, jusqu’en janvier 2020. L’exposition s’appuiera sur les HoloLens 2, ainsi que sur des modèles 3D conçus par Iconem en France.
Microsoft a affiné le dispositif pour une prise en main plus simple ; en utilisant le service de développement Azure Spatial Anchors, il sera désormais possible – en cas de plantage de l’application ou de casques déficients – de relancer automatiquement l’application qui se calera tout aussi automatiquement à l’emplacement de l’appareil, sans devoir tout recharger. « Avec ses informations de paramétrage qu’on va chercher dans le cloud, il y aura moins de freins à l’immersion », résume-t-on à HoloForge.
De Paris à La Flèche
La seconde expérience immersive de réalité mixte conçue par le studio bordelais se situe dans l’église Saint-Louis du Prytanée national militaire (1), offerte par Henri IV aux jésuites, à La Flèche (Anjou) non loin du Mans. « La difficulté réside ici dans le lieu lui-même, plus spacieux et dont le sol, en damier, entraîne quelques problèmes de calage du casque à cause de son motif répétitif », souligne Antoine Bezborodko.
Mise en place dans le cadre d’une vaste opération de célébration de la mémoire patrimoniale de la région, l’expérience permettra, tout en marchant dans l’édifice, d’avoir des informations complémentaires visuelles grâce aux casques : hologrammes, graphiques, etc. « À la différence de ce que nous avons mis en place à Paris, avec une démarche linéaire et en mode seul, ici nous proposerons une médiation de groupe avec un accompagnateur physiquement présent. » La version 2 des HoloLens sera de mise, même si pour l’instant les phases d’expérimentation in situ se font encore avec la version 1. L’exposition permanente ouvrira ses portes en septembre 2020.
Solastalgia à Rennes
Inaugurée le 8 novembre et visible jusqu’à fin mars, dans le cadre du Festival TNB du Théâtre national de Bretagne, l’installation « Solastalgia » aux Champs libres, qui domine le centre-ville de Rennes, est une création en réalité mixte d’Antoine Viviani et Pierre-Alain Giraud. Équipé d’une combinaison de cosmonaute, le public est invité à explorer la surface d’une Terre devenue inhabitable. Seul un mystérieux nuage de lumière semble hanter ce monde. Avant leur extinction, les dernières générations ont inventé une machine qui leur permet de revivre à l’infini, comme des hologrammes parfaits, un souvenir de leurs vies.
Pour cette installation, HoloForge s’appuie sur HoloScene, une plate-forme de création d’outils permettant aux entreprises d’élaborer leur propre scénario d’utilisation de la réalité augmentée. Cette technologie sous licence est couplée avec l’Azure Kinect pour gérer les vidéos volumétriques.
HoloForge Interactive s’inscrit dans une démarche d’évangélisation de la réalité mixte pour des lieux de médiation culturelle, sans pour autant perdre de vue sa base commerciale que sont les grands comptes (Framatome, Thalès ou encore Safran). Avec une équipe de vingt personnes dédiées à la réalité mixte au sein du studio bordelais, HoloForge élargit son spectre de compétences en s’appuyant sur de solides partenaires pour des projets à taille humaine… pour l’instant. « La réalité mixte va représenter dans les prochaines années un changement radical de paradigme et il convient d’être présent dès maintenant. » À suivre, donc.
(1) Le Prytanée est un lycée militaire géré par le ministère de la Défense.
Article paru pour la première fois dans Sonovision #18, p.62-64. Abonnez-vous à Sonovision (4 numéros/an + 1 Hors-Série) pour accéder, à nos articles dans leur totalité dès la sortie du magazine.