Défi : quand l’audiovisuel collabore avec la DSI !

À l’heure de l’IP, les services Internet et de l’audiovisuel sont obligés de travailler ensemble. Une situation qui peut engendrer des conflits. Lors d’une table ronde organisée par le Satis 2023, quatre experts ont partagé leurs conseils pour une bonne entente avec la DSI.
Les réseaux IP sont désormais partout. La question est la répartition des missions et des objectifs entre les différents corps de métier qui interviennent dans l’écosystème audiovisuel. © AdobeStock / Koonsiri

 

Il y a quelques années encore, une régie son ou vidéo pouvait simplement s’installer en déroulant ses propres câbles. Aujourd’hui, avec l’IP, tous les canaux sont mutualisés. La bureautique, la télécommande des lumières et la vidéo passent par les mêmes ondes. Deux mondes auparavant bien distincts – l’informatique et l’audiovisuel – se doivent alors de collaborer. Mais comment réussir à travailler et à évoluer ensemble ? Quatre experts livrent leurs expériences lors d’une table ronde du Satis 2023.

 

Construire un langage commun

« Il y a une anecdote qui symbolise bien le défi de nos métiers. Si je demande à l’assemblée ce qu’est un câble RJ45, je ne suis pas sûr que tout le monde soit capable de me donner la même réponse. RJ signifie “registered jack” alors que nous n’avons jamais vu une prise jack au bout d’un de ces câbles. Cela démontre une chose : dans nos métiers, il est bien difficile de se faire comprendre. Le DSI se retrouve alors face à un monde qui lui est inconnu, voire hostile. Alors comment trouver des passerelles ? », expose Manuel Garcia, chef produits et ventes francophonie chez 3D Storm.

Pour améliorer la communication entre les personnels de l’IT et ceux de l’audiovisuel, différentes techniques ont été expérimentées par les speakers de cette table ronde. Philippe Guillet, directeur du numérique à la Cité des Congrès de Nantes (un site polyvalent accueillant une centaine de spectacles à l’année ainsi que des événements professionnels), a mis en place plusieurs étapes pour favoriser cette collaboration. « Nous avons lancé un projet de rénovation du numérique qui court de 2020 à 2025. Il y avait tout à faire : déployer la fibre, créer un data center, etc. Mais le véritable challenge était de former correctement nos équipes pour correspondre à tous les besoins. En 2021, nous avons donc construit une direction du numérique qui regroupe des profils issus des sciences informatiques et d’autres de l’audiovisuel. »

Après la création de cette direction aux compétences multiples, il a fallu former les différentes équipes afin que celles-ci puissent se comprendre et communiquer entre elles. « Les équipes IT ont été formées à l’audiovisuel et inversement. Cependant, dans chacun des deux groupes, nous avons mis des personnes issues du milieu opposé afin que celles-ci puissent comprendre quelles pouvaient être les interrogations possibles sur sa matière et comment celle-ci était enseignée. »

 

Mickaël Casse (Senior Solution architect chez Nevion), Benoît Rouvreau (Macif Pôle Infrastructure et Cloud), Philippe Guillet (directeur du numérique à la Cité des Congrès de Nantes), Manuel Garcia (chef de produits et ventes francophonie chez 3D Storm), et le modérateur Pierre-Antoine Taufour. © DR

 

L’enjeu de construire un vocabulaire commun n’est pas seulement utile pour faire travailler ensemble les équipes déjà en place. Cela permet aussi de penser aux personnes qui leur succéderont. « Il faut pouvoir archiver correctement chaque tâche qui a été effectuée. Nous devons toujours nous demander : est-ce que mon remplaçant sera capable de comprendre ce que j’ai écrit ? La DSI a pour but de pérenniser un projet dont on connaît le début mais qui n’aura possiblement pas de fin. Archiver chaque étape est alors primordial », rappelle Manuel Garcia.

Se comprendre et établir des ponts entre le présent et le futur n’est pas uniquement le travail des équipes IT et audiovisuelle au sein d’une seule et même structure. « Il faut aussi se positionner de l’autre côté du miroir, c’est-à-dire comprendre ce que font les constructeurs et dialoguer avec eux afin qu’ils nous fournissent les solutions les plus adéquates qui correspondent à tous nos corps de métiers. C’est vrai, on ne pose jamais la question : mais comment obtenir ce que l’on veut si on ne le demande pas ? », pointe également Manuel Garcia.

Le dialogue avec la DSI peut alors démarrer dès le choix des solutions et matériels à utiliser. « Il ne faut pas arriver au dernier moment, en sortant d’un salon, avec son petit boîtier. La DSI ne pourra pas le comprendre. Avec un roadmap précis, il faut déterminer ensemble les outils à utiliser », prévient Benoît Rouvreau, responsable du pôle Infrastructure et Cloud à la Macif.

 

Redéfinir l’organigramme

Construire des équipes avec des profils polyvalents amène rapidement à la question : « Mais qui fait quoi ? ». Pour Mickaël Casse, senior solution architect chez Nevion (une entreprise du groupe Sony), l’important est d’avoir un chef unique qui répartit les tâches. « Qu’importe la taille de l’entreprise, de l’infrastructure, il est indispensable d’avoir une seule vision. Les deux entités – IT comme audiovisuelle – auront alors le sentiment d’appartenir à un projet commun. Elles se sentiront alors intégrées et concernées. »

Ce fonctionnement, relativement semblable aux anciennes DSI, n’empêche pas de reconfigurer le reste des équipes. « J’ai travaillé pour une chaîne au Canada en 2017 au moment de leur passage à la norme 21.10. Ils ont directement mis tout le monde dans un open space pour favoriser la collaboration. Puis, ils ont créé des binômes avec un personnel de l’IT et un autre de l’audiovisuel. Ça a très bien marché », raconte Mickaël Casse.

Au mélange des profils peut aussi s’ajouter la création de nouveaux postes pour favoriser le lien. C’est le choix fait par la direction du numérique de la Cité des Congrès de Nantes : « Nous avons un administrateur réseau qui connaît parfaitement son infrastructure, mais le broadcast n’est pas dans son ADN. Nous allons faire travailler avec lui un nouvel administrateur qui vient du milieu de la régie et de l’exploitation. Le but est de le former afin qu’il intègre les compétences nécessaires à l’administration réseau. À terme, il sera la courroie de transmission avec toutes les régies sons, lumières, etc. », détaille Philippe Guillet.

Dans cette démarche, le directeur du numérique insiste sur l’importance de la formation : « Il est presque impossible de trouver des gens qui ont déjà cette double casquette ou nous n’avons pas les moyens de les embaucher. C’est alors à nous d’injecter des compétences. »

 

© DR
L’importance des outils de supervision

Une fois les équipes et l’infrastructure mises en place, la supervision occupe la majeure partie du temps de la DSI. Mais contrôler un réseau Internet pour la bureautique n’a pas les mêmes enjeux que pour le broadcast ; un simple problème de connexion peut mettre fin à un direct ou gâcher la captation d’un spectacle. « Dans la supervision, il faut que l’ingénieur broadcast ait une autonomie dans l’action, car il comprend l’urgence de la situation. Il sait facilement quel câble changer et il peut le faire rapidement », recommande Mickaël Casse.

En revanche, il n’est pas toujours question de faire bande à part. La DSI ayant une bonne connaissance du monitoring, elle doit avoir une vision d’ensemble des flux. Une situation qui peut malheureusement engendrer un effet « sapin de Noël » avec des alarmes venant de tout côté sans qu’on ne puisse identifier l’origine des problèmes. « Il faut veiller à ne pas se noyer dans la masse de données. Dès le départ, il faut opérer des choix et échelonner, passer progressivement du macro au micro », explique Benoît Rouvreau.

Un travail minutieux que Philippe Guillet souhaiterait voir évoluer : « Notre équipe IT a un grand mur d’image pour la supervision. Idem du côté audiovisuel. Mais ce que je voudrais, c’est un logiciel supérieur, capable de contrôler tout ce qu’il se passe et d’identifier rapidement l’alarme à l’origine de toutes les autres. » En attendant cet outil miracle (que l’IA mettra peut-être au jour, qui sait ?), les équipes IT et audiovisuelles vont devoir compter sur leur collaboration et l’échange de leurs connaissances, qui seules peuvent faire aboutir leurs projets communs.

 

Article paru pour la première fois dans Sonovision #34 p.38-39

 

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