Il s’en est fallu de très peu pour que l’exposition « Pompéi, promenade immersive », dont l’ouverture était prévue une semaine après l’annonce du confinement, ne disparaisse de la programmation du Grand Palais.
Rapidement mise en ligne par la RMN-Grand Palais (Réunion des musées nationaux-Grand Palais) à partir de l’application numérique, l’exposition virtuelle a répondu aux attentes sans faire d’ombre à l’exposition in situ scénographiée par Sylvain Roca (avec Lundi 8 à la scénographie numérique) et réalisée par Olivier Brunet : « Le numérique ne semble pas avoir été dissuasif quant à la fréquentation », se félicite Roei Amit, directeur adjoint en charge du numérique à la Réunion des musées nationaux-Grand Palais.
« L’attente a peut-être même généré l’envie de voir l’exposition in situ [prolongée jusqu’à la fin septembre]. » Outre l’attirance qui ne s’est pas démentie pour le sujet, la promesse d’une expérience immersive et inédite n’est sans doute pas étrangère à cet intérêt, même si les jauges de public ont été réduites à deux cents personnes à la fois pour des raisons sanitaires et que des dispositifs interactifs, comme deux grandes tables tactiles et surtout la visite virtuelle d’une domus, ont été temporairement déconnectés.
Pompéi, la traversée immersive
Étirée comme une ligne du temps (de 79 à aujourd’hui), la « rue » de Pompéi que remonte le visiteur, coupée symboliquement par une découverte sur le Vésuve surplombant au loin la ville, présente deux visages : la cité romaine prospère (à l’entrée de l’exposition) et le vaste chantier de fouilles d’aujourd’hui.
De part et d’autre de cette « rue », quatre grandes domus, reconstituées sobrement, documentent les époques traversées au moyen d’installations audiovisuelles (projections, triptyque, mappings), tandis que leurs façades en toile sont mappées avec des reconstitutions de maisons et animées par des saynètes évoquant la vie quotidienne durant les périodes romaine et actuelle.
À chaque extrémité, des projections poursuivent les perspectives. « Le volume des audiovisuels se montrait très conséquent [une vingtaine de films, ndlr] », indique le réalisateur Olivier Brunet qui s’est également chargé de leur montage et postproduction.
« Certains étaient des montages (à base de documents d’archives, d’extraits de films, de photos ou de simulations 3D), des documentaires (sur les fouilles, la décoration des domus), des micro-fictions ou des dispositifs spectaculaires comme l’éruption du Vésuve ou la mise en scène des fresques. »
Tous ces films ont été assemblés de sorte à constituer des boucles d’une durée de 2 minutes 30 (la durée d’attention moyenne d’un visiteur devant un écran) ou de multiples : « La plupart des vidéos sont calées sur celle de l’irruption du Vésuve qui est indexée sur la boucle la plus longue (7 minutes 30). Le fil directeur de l’expo était en effet de montrer que toute la vie mise en scène dans la première partie est suspendue à cette éruption qui a anéanti la ville en quelques heures. »
Conçue comme un spectacle global qui s’arrête à la fin de la projection du Vésuve (correspondant au moment où les nuées ardentes dévalent sur la ville), cette scénographie audiovisuelle, comprenant quelque 3 750 images, a demandé plus d’un an de préparation pour se mettre en place.
« Cette construction est synchronisée à l’image près. Elle permet ainsi d’avoir une très grande liberté au moment de la programmation (qui s’effectue sur le media-serveur Onlyview d’ETC Audiovisuel) : on peut présenter toujours le même film ou mettre en boucle plusieurs films. »
Aucun audiovisuel n’échappe à la contrainte que s’est fixée le réalisateur. Pas même la perspective côté antique fermant la « rue » (calée en réalité virtuelle) ni les silhouettes de personnages marchant à échelle un sur les façades des domus, elles-mêmes « habillées » par des projections dues à la société Aristeas (trois façades différentes par domus).
« Nous avons dressé une liste de 36 saynètes plausibles (âne tirant une charrette, enfants se poursuivant…) que nous sommes allés filmer sur fond vert dans le studio de Sofia où Pierre Stine tournait son documentaire. » Le fait que le visiteur fasse ombre lui-même en se déplaçant participe à l’effet souhaité, à savoir révéler le passage du temps.
L’image « spectacle »
Deux dispositifs spectaculaires rendent mémorable cette remontée dans le temps : l’éruption du Vésuve et le spectacle des fresques géantes.
Positionné à la croisée des rues et en face d’un petit amphithéâtre, le premier dispositif se veut monumental en prenant place dans l’une des arches du Salon d’honneur. Architecturé par Olivier Brunet, le film de l’éruption in situ se recompose avec des extraits du docu-fiction de Pierre Stine, Les dernières heures de Pompéi (Gédéon Programmes) et des séquences 3D créées par Nozon (pluie de lapilli, fumées).
Pour donner plus de réalisme à cette évocation, la projection s’appuie sur un avant-plan représentant la cour intérieure d’une domus simulée en 3D. Ce décalage des cimaises permet de glisser discrètement la régie technique mise en œuvre par ETC Audiovisuel. Pour mettre au point cette double projection, des tests en réalité virtuelle ont été effectués par Yannick Tholomier (Ijin.Prod).
Initialement prévue pour être programmée toutes les demi-heures, l’éruption du Vésuve revient en boucle toutes les quinze minutes. Elle s’accompagne bien sûr d’une descente de laves sur les pentes du volcan et d’une pluie de cendres qui grise progressivement toutes les cimaises de l’exposition enténébrant ainsi les façades des domus, éteignant tous les écrans et coupant la diffusion sonore composée par Olivier Lafuma (38 points sonores). S’ensuivent quelques minutes d’un silence particulièrement émouvant.
De nature bien différente et invitant à la contemplation, le second dispositif ou le « spectacle » des fresques géantes donné dans la domus IV montre, comme on ne l’avait jamais fait auparavant, la luxuriance des peintures qui ornaient les murs des maisons pompéiennes. Personnages mythologiques à échelle un, détails floraux excessivement agrandis…
L’iconographie exceptionnelle du site antique est ici rendue par une composition d’Olivier Brunet (avec le graphiste Vincent Deram), laquelle joue de zooms, de mouvements très lents dans l’image et parfois de caméra mapping afin d’apporter un léger effet de relief. L’ultra haute définition des clichés (27 fresques parmi les plus remarquables ont été photographiées sur place en photogrammétrie) apporte à cette projection de 4 000 pixels de haut un degré de précision rarement atteint.
La scénographie en plaçant des grands miroirs sur les murs latéraux magnifie cet effet kaléidoscopique. Pour ne pas désynchroniser l’ensemble des projections, chaque boucle vidéo dure exactement 7 minutes 30.
Pour ce « ballet » mis en musique par Olivier Lafuma, six projecteurs 4K positionnés verticalement ont été nécessaires. C’est sur cette explosion de formes, de couleurs et de scènes de vie que se clôt la promenade immersive dans l’une des histoires les plus fascinantes d’Occident.
POMPÉI AU GRAND PALAIS
- Coproduction : Gedeon Programmes, RMN-Grand Palais, Parc archéologique de Pompéi
- Scénographie : Sylvain Roca
- Maîtrise d’œuvre multimédia et audiovisuel : Lundi 8
- Réalisation des boucles audiovisuelles : Olivier Brunet
- Composition musicale et design sonore : Olivier Lafuma
- SFX Volcan : Nozon
- Modélisation 3D maisons : Aristéas
- Installation audiovisuelle : ETC Audiovisuel
Article paru pour la première fois dans Sonovision #20, p. 61-64. Abonnez-vous à Sonovision (4 numéros/an + 1 Hors-Série) pour accéder à nos articles dans leur totalité dès la sortie du magazine.